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Désespérante actualité

bad-newsL’actualité de ce jeudi m’a laissée quelque peu éreintée.

Un jour après l’autre, les mauvaises nouvelles s’enchainent, les difficultés s’amoncellent, les espoirs sont contrariés. Même ce qui donne l’impression d’avancer repose sur des questions problématiques, des situations que l’on aurait préféré éviter.

C’est une véritable avalanche.

Bad news

A l’international : un coup d’Etat militaire qui met paradoxalement l’Egypte en liesse, la confirmation d’un immense jeu de big brother à l’échelle des Etats, les vaines menaces de Hollande à propos du traité transatlantique, un incident diplomatique ahurissant avec la Bolivie, et finalement le refus de donner l’asile politique à un lanceur d’alerte américain embringué dans un rapport de force médiatique avec son propre pays.

En France : Delphine Batho qui règle ses comptes avec le gouvernement et dénonce des lobbies, l’invalidation des comptes de campagnes de l’UMP qui se retrouve sur la paille, Sarko qui prétend démissionner du conseil constitutionnel, Médiapart interdit de publier des affaires d’Etat sous couvert de protection de la vie privée, les suites de plus en plus alambiquées de l’affaire Cahuzac, Mélenchon qui apporte son soutien à Kerviel, le début des négociations pour une nouvelle réforme des retraites.

Il y a les bonnes nouvelles dont on craint que la suite tourne mal.
Les nouvelles contrariantes mais dont on se dit avec fatalisme qu’il pourrait difficilement en être autrement.
Le constat accablant sur l’état déplorable de la classe politique et ses effets désastreux sur l’opinion.
La désolation face aux contradictions insurmontables de la démocratie, des sentiments ambivalents face à la complexité du monde.

Comment dans ce capharnaüm d’affaires et d’enjeux géopolitiques saisir autre chose qu’un message alarmant ?
Comment ne pas se sentir démuni et relégué à une place insignifiante, loin, fort loin de notre « pouvoir d’agir » citoyen ?
Comment éviter que certains y trouvent de bonnes raisons de voter Front national ?
Comment, si l’on n’est pas complaisant ou happé par ce tourbillon au point d’y prendre part, recevoir tout cela autrement qu’avec angoisse, ou dégoût, ou sans se retrancher dans une indifférence protectrice ?

Good news ?

Elles sont où les vraies bonnes nouvelles ?

Celles que l’on n’ira pas bouder à cause de certains détails désagréables qui en gâchent la qualité ?
Celles qui seraient bonnes pour tout le monde et non pour une catégorie de privilégiés ?
Celles qui ne seraient pas gâtées par une contestation démesurée ?
Celles qui nous autoriseraient à nous dire sans hésitation qu’on avance vers une résolution ou une amélioration de la situation ?
Celles qui nous uniraient enfin dans la cohésion et le progrès ?

Ce qui est certain, c’est qu’elles ne font pas les gros titres et sont très peu relayées.
Peut-être sont-elles cachées… Sommes-nous dans une telle configuration mortifère que nous ne les voyons plus ?
Peut-être sont-elles ignorées… Sommes-nous devenus si exigeants que nous ne sommes plus capables de mesurer le moindre progrès ?
Peut-elles sont-elles oblitérées ? Sommes-nous tellement informés que nous ne parvenons plus à faire la part des choses ?

Peut-être tout ceci n’est-il qu’un effet d’entraînement, et faut-il se dire comme Juan  : Il y a toutes les raisons d’être inquiets, mais aucune d’être désespérés ?

Et si, au final, notre difficulté à nous intéresser au positif n’était pas tout simplement dû à une certaine flemme teintée de conformisme ? Nous suivons les flots de l’info, emportés par les remous de surface, prenant de moins en moins le temps d’observer les courants des profondeurs, ou de regarder ailleurs, ou de nous interroger sur ce qui nous ferait vibrer, aimer la vie, apporter au monde plutôt que contempler son désastre ?

Edit : Ah, la preuve que j’ai raison, même le Gorafi le dit ! >> 62% des Français estiment qu’il y a eu trop d’informations cette semaine 😉

Illustration : non connu

Abolition des privilèges : qui sont les démagogues ?

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Alors que le parlement s’attaque laborieusement au problème de la transparence en politique, mercredi 19 juin le Nouvel Observateur nous annonce une soi-disant fronde de « 10 députés en colère« .

Tout le dispositif médiatique est mis en branle pour donner de l’importance à la publication.

La révolution est en marche

Le titre est sensé mobiliser l’attention sur un fait d’exception : 10 députés en colère : « Abolissons nos privilèges ! » Caramba, sommes-nous à la veille d’une révolution, d’une nouvelle nuit du 4 août ? Apparemment, le Nouvel Obs est le premier à nous l’annoncer, puisque le titre commence par un EXLUSIF en lettres capitales. Le chapô en rajoute une couche dans le genre « c’est du lourd, vous allez voir » : A lire en kiosque jeudi 20 juin.

Quel est donc cet événement révolutionnaire ? Vite, vite, il faut savoir, car le temps presse, d’ailleurs, ce n’est qu’un début.

« Osons rénover l’Assemblée ! » lancent ces élus lucides qui ont compris que les petits arrangements avec la morale républicaine n’ont que trop duré. Ah, oui, d’accord, c’est vrai qu’il y a pas mal de choses à faire pour que le parlement soit autre chose que le théâtre d’affrontements souvent de pure forme, où nos représentants, quand ils ne font pas l’école buissonnière, s’agitent bien souvent comme des cancres dans une cour d’école, et où le débat consiste à noyer les projets de loi sous des tonnes d’amendements.

Mais de ces dysfonctionnements du quotidien qui font pas mal de mal à l’efficience de notre république, il n’est point question.

A bas les privilèges !

Car l’article se concentre sur ce qui doit faire vibrer d’indignation nos braves français héritiers de 1789, sans doute prêts à se dresser dans un nouvel élan historique : les mile et un avantages dont jouissent nos élus (ce coup-ci, ce ne sont pas les fonctionnaires, mais si vous êtes cyniques vous noterez que pas mal de députés ont ce statut) qui justifient que jamais la défiance à l’égard de la représentation nationale n’a été aussi profonde (chiffres de sondage à l’appui).

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En bon redresseur de torts, le Nouvel Obs convoque donc des chevaliers blancs de tous bords (seulement 3 UMP contre 5 PS et 2 EELV, et aucun UDI, PC ni FN… faut tout de même pas déconner) qui sont prêts à montrer l’exemple et à sacrifier leurs privilèges pour rétablir la confiance des citoyens. A l’en croire, cela va beaucoup plus loin que la « moralisation » proposée par le gouvernement (roulements de tambours).

Je ne discuterai pas ici des propositions, qui, à défaut d’être toutes originales, peuvent être intéressantes. Mais faire tout ce foin pour une somme d’avis et d’idées sans aucune articulation entre elles, cela me semble pour le moins exagéré.

Mais au fait… quel appel ?

Dix députés en colère s’engagent dans « le Nouvel Observateur ». (…) Nos dix élus, de droite comme de gauche, suggèrent des solutions concrètes. 

J’adore ce « NOS 10 élus », sorte de lapsus révélateur des grosses ficelles employées par l’hebdo du jeudi. Car cet « appel à abolir les privilèges« , largement relayé sous cette formule par les confrères du Nouvel Obs, n’en est pas un. C’est tout bêtement une série de mini-interviews assemblées dans un article racoleur. Un procédé journalistique banal avec un emballage pour le moins gonflé, destiné à optimiser les ventes en kiosque du lendemain.

C’est complicité – ou pire, pure incompétence – de la part de ceux qui l’on relayé pour ce qu’il prétendait être (certains ont récupéré le coup par la suite), car cet habillage événementiel ne peut occulter le fait qu’il ne s’agit PAS d’une démarche collective. Il suffit de repérer ce qui n’est pas dit : les députés ne se sont visiblement pas concertés, il n’y a nul porte-parole, nul engagement en dehors de ce papier… ni la certitude que les 10 insurgés approuveraient la totalité des 10 propositions ! Il n’y a au final pas de cohérence globale qui justifierait de qualifier ces propositions d’objet politique construit.

On rigole même à imaginer le professionnel de la politique Laurent Wauquiez revendiquer comme Barbara Romagnan, députée PS du Doubs, le mandat parlementaire unique. C’est bien justement ce qui fait la difficulté d’un travail législatif : parvenir à un ensemble de mesures qui satisfasse la majorité, et ne déplaise pas trop à tel ou tel groupe d’intérêts. On sait combien l’ambition de départ se réduit généralement comme peau de chagrin à force de conciliations qui font souvent perdre de vue l’objectif initial.

La fabrique à polémiques

Mais la manipulation ne s’arrête pas là. Dans tout combat il faut des adversaires prêts à en découdre. Et toute révolution ne sera légitime que s’il y a bien en face des privilégiés et leur cohorte de courtisans à désigner.

En l’occurrence, ni une, ni deux, ils s’auto-désignent d’eux-mêmes le jour même. Le Nouvel Obs a préparé ses hameçons avec des appâts bien gras, il n’a plus qu’à lever les filets pour récolter de quoi alimenter le teasing en prévision des ventes du lendemain.

Deuxième billet en soirée : Le coup de colère de 10 députés, réclamant l’abolition de leurs privilèges, relayé par le « Nouvel Observateur », a suscité de vives réactions à droite comme à gauche dans les couloirs de l’Assemblée nationale ce mercredi 19 juin. Ben tiens. Vous avez remarque le « relayé » ? Le canard poursuit l’orchestration de l’illusion. On imagine qu’il avait envoyé des journaleux en nombre pour récolter la pêche miraculeuse.

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Claude Batolone, en bon représentant de cette caste de privilégiés hostiles à la transparence (et pour cause), occupe la place d’honneur sur l’étal. Ses propos ras-des pâquerettes reccueillis par Le Monde (« Je commence à en avoir ras-le-bol de ces députés qui se font une réputation sur le dos des autres ! »), associés à sa photo sur le perchoir de l’assemblée… invitent à douter qu’il y ait bien sa place.

Wauquiez, qui se démarque opportunément de son camp, en rajoute une couche dans le genre sacrificiel et exemplaire (quitte à embellir des faits qui le concerne). Les pics qui l’attaquent sur sa gauche mais encore plus sur sa droite ne peuvent que le conforter aux yeux des électeurs. Le porte-drapeau des anti-assistés est vraiment contre tous les privilèges, y compris les siens, ça a de la gueule.

On apprend aussi que le groupe socialiste à l’Assemblée s’est même fendu d’un communiqué [vers lequel on se garde de faire un lien] pour critiquer le « poujadisme ignorant ». Ce qui n’est pas dit, c’est que c’est le « prétendu appel » qui y est en premier lieu dénoncé ! Cela donne plutôt l’impression que les insurgés du PS ayant témoigné dans l’Obs sont considérés comme des traîtres à la majorité de gauche [qui] fait la nuit du 4 août tous les jours.

« Ump divisée », « Coup de main au populisme », les inter-titres font monter la mayonnaise. Dans le corps de l’article, questions de fond et critiques sur la forme s’entremêlent dans une mise en abîme vertigineuse. On n’y comprend plus rien. Enfin plutôt, on comprend que l’assemblée ne travaille pas pour notre bien. Comment, dans l’effervescence de cette mise en scène, ne pas douter que nos seigneurs politiques ne nous mènent nulle part et méritent la guillotine ?

Démagogie et populisme à tous les étages

Troisième article de l’Obs le 20 juin (pour ceux qui auraient oublié d’acheter l’hebdo, il faut bien une piqûre de rappel) Copé y trouve sur LCI une belle occasion de montrer qu’il peut exceptionnellement prendre de la hauteur, et assène, royal : « Ce que je regrette, c’est qu’il n’y ait pas de vision, d’approche globale, il y a simplement la course à vouloir donner absolument l’image la plus démagogique, la plus populiste, alors que ce qui me paraît moi important, c’est qu’on ait une réflexion globale (…) On peut toujours faire des ajustements sur les retraites, mais de grâce si on peut éviter le populisme c’est bien. »

De grâce… venant de lui, toujours prêt à bondir sur le moindre petit truc qui peut attiser les polémiques, ce soudain accès de majesté fait rigoler. Là encore, on voit les ficelles, on devine le positionnement stratégique.

Et cette énième polémique montée de toutes pièces s’ajoute à la cacophonie toujours croissante qui ne donne à voir que le pire de la politique (et dont on espérait, à tort, être débarrassé avec le départ de Sarkozy). On fini par saturer, y compris des incessants procès en populisme… Car sous couvert de nous informer, le système médiatique a une fâcheuse tendance à créer les conditions de l’épanouissement de celui-ci !

Même si nous ne sommes pas tous rompus au décryptage analytique, chacun a une expérience suffisante du discours médiatique pour « sentir » les choses, et éprouver du malaise face aux excès des postures, du désabu face à l’impuissance politique, et de la colère face à la manipulation. Quand nous n’avons pas le recul pour mettre tout cela à distance posément, la parade consiste à douter de tout et de tous, à grands renforts d’amalgames et de boucs émissaires.

La défiance est généralisée, elle concerne toutes les institutions qui ne sont pas celles de la sphère de l’intime ou de la proximité (voir ce sondage pompeusement appelé Observatoire de la confiance). Les médias ne sont pas loin derrière les politiques : seul 22% des français leur accorderaient leur confiance. Ce n’est certainement pas avec ce genre d’enfumage que le Nouvel Obs va redresser ces indicateurs…

Une autre approche est-elle possible ?

N’y a-t-il pas là un vrai problème, celui d’une société suffisamment éduquée pour repérer la démagogie, mais peut-être pas assez pour prêter assez d’attention aux quelques voix qui n’utilisent pas ces armes-là ?

Prenons le billet de Médiapart (qui malgré tout est tombé dans le panneau du Nouvel Obs, au moins un temps) sur le même sujet (le débat parlementaire sur la transparence en politique). Transparence: thème par thème, l’avancée du débat, voilà un article pédagogique qui suit l’évolution dans l’écriture des textes au parlement. Clair, contextualisé, critique aussi, mais argumenté, il expose ce qui était prévu / ce que c’est devenu / les questions que cela pose (selon lui).

Encore faut-il s’intéresser davantage à la politique au sens premier plutôt qu’à sa dimension sensationnelle. Cela demande un effort, on pourrait presque dire que cela ça se mérite… et cela commence par prendre prendre la peine d’en lire les 16 000 signes !

On peut aussi directement aller consulter les travaux préparatoires au texte de loi sur le site de l’assemblée nationale, tiens, pourquoi pas ! Je n’ai pas compté le nombre de signes, mais vous en aurez pour votre argent.

D’ailleurs, si vous avez pris la peine de lire mon long billet de 10 000 signes jusqu’au bout, je vous en suis très reconnaissante… et je dirais que c’est bon signe. 😉

Source illustrations : 1- BFM, 2- NC, 3- Assemblée nationale