Désespérante actualité

bad-newsL’actualité de ce jeudi m’a laissée quelque peu éreintée.

Un jour après l’autre, les mauvaises nouvelles s’enchainent, les difficultés s’amoncellent, les espoirs sont contrariés. Même ce qui donne l’impression d’avancer repose sur des questions problématiques, des situations que l’on aurait préféré éviter.

C’est une véritable avalanche.

Bad news

A l’international : un coup d’Etat militaire qui met paradoxalement l’Egypte en liesse, la confirmation d’un immense jeu de big brother à l’échelle des Etats, les vaines menaces de Hollande à propos du traité transatlantique, un incident diplomatique ahurissant avec la Bolivie, et finalement le refus de donner l’asile politique à un lanceur d’alerte américain embringué dans un rapport de force médiatique avec son propre pays.

En France : Delphine Batho qui règle ses comptes avec le gouvernement et dénonce des lobbies, l’invalidation des comptes de campagnes de l’UMP qui se retrouve sur la paille, Sarko qui prétend démissionner du conseil constitutionnel, Médiapart interdit de publier des affaires d’Etat sous couvert de protection de la vie privée, les suites de plus en plus alambiquées de l’affaire Cahuzac, Mélenchon qui apporte son soutien à Kerviel, le début des négociations pour une nouvelle réforme des retraites.

Il y a les bonnes nouvelles dont on craint que la suite tourne mal.
Les nouvelles contrariantes mais dont on se dit avec fatalisme qu’il pourrait difficilement en être autrement.
Le constat accablant sur l’état déplorable de la classe politique et ses effets désastreux sur l’opinion.
La désolation face aux contradictions insurmontables de la démocratie, des sentiments ambivalents face à la complexité du monde.

Comment dans ce capharnaüm d’affaires et d’enjeux géopolitiques saisir autre chose qu’un message alarmant ?
Comment ne pas se sentir démuni et relégué à une place insignifiante, loin, fort loin de notre « pouvoir d’agir » citoyen ?
Comment éviter que certains y trouvent de bonnes raisons de voter Front national ?
Comment, si l’on n’est pas complaisant ou happé par ce tourbillon au point d’y prendre part, recevoir tout cela autrement qu’avec angoisse, ou dégoût, ou sans se retrancher dans une indifférence protectrice ?

Good news ?

Elles sont où les vraies bonnes nouvelles ?

Celles que l’on n’ira pas bouder à cause de certains détails désagréables qui en gâchent la qualité ?
Celles qui seraient bonnes pour tout le monde et non pour une catégorie de privilégiés ?
Celles qui ne seraient pas gâtées par une contestation démesurée ?
Celles qui nous autoriseraient à nous dire sans hésitation qu’on avance vers une résolution ou une amélioration de la situation ?
Celles qui nous uniraient enfin dans la cohésion et le progrès ?

Ce qui est certain, c’est qu’elles ne font pas les gros titres et sont très peu relayées.
Peut-être sont-elles cachées… Sommes-nous dans une telle configuration mortifère que nous ne les voyons plus ?
Peut-être sont-elles ignorées… Sommes-nous devenus si exigeants que nous ne sommes plus capables de mesurer le moindre progrès ?
Peut-elles sont-elles oblitérées ? Sommes-nous tellement informés que nous ne parvenons plus à faire la part des choses ?

Peut-être tout ceci n’est-il qu’un effet d’entraînement, et faut-il se dire comme Juan  : Il y a toutes les raisons d’être inquiets, mais aucune d’être désespérés ?

Et si, au final, notre difficulté à nous intéresser au positif n’était pas tout simplement dû à une certaine flemme teintée de conformisme ? Nous suivons les flots de l’info, emportés par les remous de surface, prenant de moins en moins le temps d’observer les courants des profondeurs, ou de regarder ailleurs, ou de nous interroger sur ce qui nous ferait vibrer, aimer la vie, apporter au monde plutôt que contempler son désastre ?

Edit : Ah, la preuve que j’ai raison, même le Gorafi le dit ! >> 62% des Français estiment qu’il y a eu trop d’informations cette semaine 😉

Illustration : non connu

Abolition des privilèges : qui sont les démagogues ?

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Alors que le parlement s’attaque laborieusement au problème de la transparence en politique, mercredi 19 juin le Nouvel Observateur nous annonce une soi-disant fronde de « 10 députés en colère« .

Tout le dispositif médiatique est mis en branle pour donner de l’importance à la publication.

La révolution est en marche

Le titre est sensé mobiliser l’attention sur un fait d’exception : 10 députés en colère : « Abolissons nos privilèges ! » Caramba, sommes-nous à la veille d’une révolution, d’une nouvelle nuit du 4 août ? Apparemment, le Nouvel Obs est le premier à nous l’annoncer, puisque le titre commence par un EXLUSIF en lettres capitales. Le chapô en rajoute une couche dans le genre « c’est du lourd, vous allez voir » : A lire en kiosque jeudi 20 juin.

Quel est donc cet événement révolutionnaire ? Vite, vite, il faut savoir, car le temps presse, d’ailleurs, ce n’est qu’un début.

« Osons rénover l’Assemblée ! » lancent ces élus lucides qui ont compris que les petits arrangements avec la morale républicaine n’ont que trop duré. Ah, oui, d’accord, c’est vrai qu’il y a pas mal de choses à faire pour que le parlement soit autre chose que le théâtre d’affrontements souvent de pure forme, où nos représentants, quand ils ne font pas l’école buissonnière, s’agitent bien souvent comme des cancres dans une cour d’école, et où le débat consiste à noyer les projets de loi sous des tonnes d’amendements.

Mais de ces dysfonctionnements du quotidien qui font pas mal de mal à l’efficience de notre république, il n’est point question.

A bas les privilèges !

Car l’article se concentre sur ce qui doit faire vibrer d’indignation nos braves français héritiers de 1789, sans doute prêts à se dresser dans un nouvel élan historique : les mile et un avantages dont jouissent nos élus (ce coup-ci, ce ne sont pas les fonctionnaires, mais si vous êtes cyniques vous noterez que pas mal de députés ont ce statut) qui justifient que jamais la défiance à l’égard de la représentation nationale n’a été aussi profonde (chiffres de sondage à l’appui).

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En bon redresseur de torts, le Nouvel Obs convoque donc des chevaliers blancs de tous bords (seulement 3 UMP contre 5 PS et 2 EELV, et aucun UDI, PC ni FN… faut tout de même pas déconner) qui sont prêts à montrer l’exemple et à sacrifier leurs privilèges pour rétablir la confiance des citoyens. A l’en croire, cela va beaucoup plus loin que la « moralisation » proposée par le gouvernement (roulements de tambours).

Je ne discuterai pas ici des propositions, qui, à défaut d’être toutes originales, peuvent être intéressantes. Mais faire tout ce foin pour une somme d’avis et d’idées sans aucune articulation entre elles, cela me semble pour le moins exagéré.

Mais au fait… quel appel ?

Dix députés en colère s’engagent dans « le Nouvel Observateur ». (…) Nos dix élus, de droite comme de gauche, suggèrent des solutions concrètes. 

J’adore ce « NOS 10 élus », sorte de lapsus révélateur des grosses ficelles employées par l’hebdo du jeudi. Car cet « appel à abolir les privilèges« , largement relayé sous cette formule par les confrères du Nouvel Obs, n’en est pas un. C’est tout bêtement une série de mini-interviews assemblées dans un article racoleur. Un procédé journalistique banal avec un emballage pour le moins gonflé, destiné à optimiser les ventes en kiosque du lendemain.

C’est complicité – ou pire, pure incompétence – de la part de ceux qui l’on relayé pour ce qu’il prétendait être (certains ont récupéré le coup par la suite), car cet habillage événementiel ne peut occulter le fait qu’il ne s’agit PAS d’une démarche collective. Il suffit de repérer ce qui n’est pas dit : les députés ne se sont visiblement pas concertés, il n’y a nul porte-parole, nul engagement en dehors de ce papier… ni la certitude que les 10 insurgés approuveraient la totalité des 10 propositions ! Il n’y a au final pas de cohérence globale qui justifierait de qualifier ces propositions d’objet politique construit.

On rigole même à imaginer le professionnel de la politique Laurent Wauquiez revendiquer comme Barbara Romagnan, députée PS du Doubs, le mandat parlementaire unique. C’est bien justement ce qui fait la difficulté d’un travail législatif : parvenir à un ensemble de mesures qui satisfasse la majorité, et ne déplaise pas trop à tel ou tel groupe d’intérêts. On sait combien l’ambition de départ se réduit généralement comme peau de chagrin à force de conciliations qui font souvent perdre de vue l’objectif initial.

La fabrique à polémiques

Mais la manipulation ne s’arrête pas là. Dans tout combat il faut des adversaires prêts à en découdre. Et toute révolution ne sera légitime que s’il y a bien en face des privilégiés et leur cohorte de courtisans à désigner.

En l’occurrence, ni une, ni deux, ils s’auto-désignent d’eux-mêmes le jour même. Le Nouvel Obs a préparé ses hameçons avec des appâts bien gras, il n’a plus qu’à lever les filets pour récolter de quoi alimenter le teasing en prévision des ventes du lendemain.

Deuxième billet en soirée : Le coup de colère de 10 députés, réclamant l’abolition de leurs privilèges, relayé par le « Nouvel Observateur », a suscité de vives réactions à droite comme à gauche dans les couloirs de l’Assemblée nationale ce mercredi 19 juin. Ben tiens. Vous avez remarque le « relayé » ? Le canard poursuit l’orchestration de l’illusion. On imagine qu’il avait envoyé des journaleux en nombre pour récolter la pêche miraculeuse.

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Claude Batolone, en bon représentant de cette caste de privilégiés hostiles à la transparence (et pour cause), occupe la place d’honneur sur l’étal. Ses propos ras-des pâquerettes reccueillis par Le Monde (« Je commence à en avoir ras-le-bol de ces députés qui se font une réputation sur le dos des autres ! »), associés à sa photo sur le perchoir de l’assemblée… invitent à douter qu’il y ait bien sa place.

Wauquiez, qui se démarque opportunément de son camp, en rajoute une couche dans le genre sacrificiel et exemplaire (quitte à embellir des faits qui le concerne). Les pics qui l’attaquent sur sa gauche mais encore plus sur sa droite ne peuvent que le conforter aux yeux des électeurs. Le porte-drapeau des anti-assistés est vraiment contre tous les privilèges, y compris les siens, ça a de la gueule.

On apprend aussi que le groupe socialiste à l’Assemblée s’est même fendu d’un communiqué [vers lequel on se garde de faire un lien] pour critiquer le « poujadisme ignorant ». Ce qui n’est pas dit, c’est que c’est le « prétendu appel » qui y est en premier lieu dénoncé ! Cela donne plutôt l’impression que les insurgés du PS ayant témoigné dans l’Obs sont considérés comme des traîtres à la majorité de gauche [qui] fait la nuit du 4 août tous les jours.

« Ump divisée », « Coup de main au populisme », les inter-titres font monter la mayonnaise. Dans le corps de l’article, questions de fond et critiques sur la forme s’entremêlent dans une mise en abîme vertigineuse. On n’y comprend plus rien. Enfin plutôt, on comprend que l’assemblée ne travaille pas pour notre bien. Comment, dans l’effervescence de cette mise en scène, ne pas douter que nos seigneurs politiques ne nous mènent nulle part et méritent la guillotine ?

Démagogie et populisme à tous les étages

Troisième article de l’Obs le 20 juin (pour ceux qui auraient oublié d’acheter l’hebdo, il faut bien une piqûre de rappel) Copé y trouve sur LCI une belle occasion de montrer qu’il peut exceptionnellement prendre de la hauteur, et assène, royal : « Ce que je regrette, c’est qu’il n’y ait pas de vision, d’approche globale, il y a simplement la course à vouloir donner absolument l’image la plus démagogique, la plus populiste, alors que ce qui me paraît moi important, c’est qu’on ait une réflexion globale (…) On peut toujours faire des ajustements sur les retraites, mais de grâce si on peut éviter le populisme c’est bien. »

De grâce… venant de lui, toujours prêt à bondir sur le moindre petit truc qui peut attiser les polémiques, ce soudain accès de majesté fait rigoler. Là encore, on voit les ficelles, on devine le positionnement stratégique.

Et cette énième polémique montée de toutes pièces s’ajoute à la cacophonie toujours croissante qui ne donne à voir que le pire de la politique (et dont on espérait, à tort, être débarrassé avec le départ de Sarkozy). On fini par saturer, y compris des incessants procès en populisme… Car sous couvert de nous informer, le système médiatique a une fâcheuse tendance à créer les conditions de l’épanouissement de celui-ci !

Même si nous ne sommes pas tous rompus au décryptage analytique, chacun a une expérience suffisante du discours médiatique pour « sentir » les choses, et éprouver du malaise face aux excès des postures, du désabu face à l’impuissance politique, et de la colère face à la manipulation. Quand nous n’avons pas le recul pour mettre tout cela à distance posément, la parade consiste à douter de tout et de tous, à grands renforts d’amalgames et de boucs émissaires.

La défiance est généralisée, elle concerne toutes les institutions qui ne sont pas celles de la sphère de l’intime ou de la proximité (voir ce sondage pompeusement appelé Observatoire de la confiance). Les médias ne sont pas loin derrière les politiques : seul 22% des français leur accorderaient leur confiance. Ce n’est certainement pas avec ce genre d’enfumage que le Nouvel Obs va redresser ces indicateurs…

Une autre approche est-elle possible ?

N’y a-t-il pas là un vrai problème, celui d’une société suffisamment éduquée pour repérer la démagogie, mais peut-être pas assez pour prêter assez d’attention aux quelques voix qui n’utilisent pas ces armes-là ?

Prenons le billet de Médiapart (qui malgré tout est tombé dans le panneau du Nouvel Obs, au moins un temps) sur le même sujet (le débat parlementaire sur la transparence en politique). Transparence: thème par thème, l’avancée du débat, voilà un article pédagogique qui suit l’évolution dans l’écriture des textes au parlement. Clair, contextualisé, critique aussi, mais argumenté, il expose ce qui était prévu / ce que c’est devenu / les questions que cela pose (selon lui).

Encore faut-il s’intéresser davantage à la politique au sens premier plutôt qu’à sa dimension sensationnelle. Cela demande un effort, on pourrait presque dire que cela ça se mérite… et cela commence par prendre prendre la peine d’en lire les 16 000 signes !

On peut aussi directement aller consulter les travaux préparatoires au texte de loi sur le site de l’assemblée nationale, tiens, pourquoi pas ! Je n’ai pas compté le nombre de signes, mais vous en aurez pour votre argent.

D’ailleurs, si vous avez pris la peine de lire mon long billet de 10 000 signes jusqu’au bout, je vous en suis très reconnaissante… et je dirais que c’est bon signe. 😉

Source illustrations : 1- BFM, 2- NC, 3- Assemblée nationale

Misère, misère…

MisèreMisèreuh, misèèèèèreuh…

Cet air de Coluche avec sa voix rocailleuse et prolétaire me vient souvent à l’esprit en ce moment, à la lecture de tout et de rien, en un mille-feuille indigeste d’informations toutes les plus désespérantes les unes que les autres : la conduite anti-démocratique de l’Europe, la mauvaise volonté pour préserver la planète, l’actualité en Grèce, la bêtise et la malfaisance au travail ou dans les commentaires de blogs, la machine à perdre du PS et la droite la plus bête du monde, la précarité et l’exploitation y compris chez les vendeurs de rêve, ces débats imbéciles sur la théorie du genre, l’incendie criminel d’un centre socioculturel près de chez moi, les profiteurs et les fraudeurs, les opposants au mariage pour tous qui n’en finissent plus avec leur combat inutile et dangereux, le retour des fachos sur le devant de la scène…

Misèreuh, misèèèèèreuh…… 35 ans après, la chanson de Coluche, même si elle se moque un peu des chansons engagées, est hélas toujours d’actualité, convenons-en.

Misère, misère !
C’est toujours sur les pauvres gens
Que tu t’acharnes obstinément
Misère, misère !
ça sera donc toujours les salauds qui nous bouff’ront
L’caviar sur l’dos
Misère, misère !

Tu te fais l’ennemie des petits
Tu te fais l’alliée des pourris
L’argent ne fait pas le bonheur des pauvres
Ce qui est la moindre des choses
Convenons-en
Convenons-en !

Misère, misère!
Peut-être qu’un jour ton président
Sentant monter notre colère
Misère, misère !
Devant les peuples sans frontières
Alors il s’en mordra les dents
Misère, misère !

Tu repartiras d’où tu viens
En emportant tous tes chagrins
Et j’te..

L’argent fera bien le bonheur des pauvres
C’qui sera la moindre des choses
Convenons-en
Convenons-en !

Projets d’entreprise et investissement solidaire à Angouleme

CigalesSur le site de la MPP

Rencontre : Votre projet d’entreprise, parlons-le ensemble

Dans le cadre du Printemps pour une économie équitable 2013

Des besoins économiques non satisfaits ?
Vous envisagez de créer une entreprise mais vous hésitez ?
Vous avez créé, mais vous sentez un peu perdu-e et seul-e ?
Des accompagnateurs de porteurs de projets centrés sur la personne, au–delà de son projet, et qui privilégient la mise en réseau ?

La CIGALES de l’Angoumois invite des porteurs de projets d’entreprises et des acteurs de l’accompagnement à se rencontrer et se connaître, pour voir comment créer ensemble réussir à faire aboutir votre projet avec celui des autres.

Vendredi 14 juin 2013 de 16h à 19h
A la MPP – Entrée Libre

Rens : CIGALES de l’Angoumois – 09 77 47 19 60 – 06 24 35 54 99.
Club d’Investisseurs pour une Gestion Alternative et Locale de l’Epargne Solidaire.

Lien site MPP – L’événement sur FB

Dans Sud Ouest

Le club d’investisseurs Cigales de l’Angoumois organise une journée consacrée à la création d’entreprise, vendredi.

Les Cigales sont des Clubs d’investisseurs pour une gestion alternative et locale de l’épargne solidaire. Autrement dit, ce sont des citoyens convaincus de la nécessité d’aider et d’accompagner les initiatives locales, qui décident d’épargner chaque mois pour pouvoir investir une somme dans le capital d’une société qui démarre et dont le projet les a séduits.

Lire la suite : Les Cigales de l’Angoumois (16) font chanter l’économie

Illustration : Tadeusz Kluba (Sud-Ouest)

Misère et grandeur de la télévision publique

No signalEcran noir

Hier soir, les trois chaînes de TV, quatre stations de radio et des sites Internet du groupe audiovisuel publique grec ERT ont été coupés à 23h, quasiment sans préavis (cela avait été annoncé le jour même). Le gouvernement grec prétend ainsi couper court à une gestion opaque et coûteuse qui ne serait plus tolérable à l’heure où le peuple grec doit faire des sacrifices (et où le gouvernement s’apprête à montrer ses efforts de rigueur à la Troïka européenne…). Les 2600 salariés sont licenciés. Une nouvelle agence de radiodiffusion qui ne dépendrait ni de l’Etat ni d’un parti (mais de qui ?) est annoncée (source + Google traduction).

Cette coupure brutale est qualifiée de véritable coup d’Etat par certains. Des manifestations spontanées ont eu lieu pour soutenir journalistes et techniciens qui ont poursuivi leur activité en enregistrant des programmes spéciaux actuellement relayés sur le site web de l’université de Grèce. Un appel à la grève générale a été lancé.

Ecran lumineux

Par une troublante coïncidence, alors que la TV publique grecque s’éteignait (voir ici pour les dernières images), son homologue française resplendissait avec l’émission Cash investigation présenté par Elise Lucet (à voir en replay jusqu’au 18 juin). 3,6 millions de téléspectateurs ont eu droit en prime time sur France 2 à une très belle prestation de service public, ce qui ordinairement est plutôt réservé à l’audience exigeante et tardive d’Arte.

Au programme : un sujet aride (Le scandale de l’évasion fiscale) présenté de manière pédagogique et offensive (on rit même parfois, un peu jaune il est vrai), un vrai travail d’enquête (et de contre-enquête) menée à travers l’Europe, des questions posées sans complaisance à des ministres, banquiers ou grands patrons, le témoignage d’un lanceur d’alerte (Hervé Falciani, ex-informaticien de la banque HSBC Genève à qui il a soustrait des données sensibles pour beaucoup de puissants), et sur le plateau, la parole donnée à des interlocuteurs souvent ignorés des grands médias (le syndicaliste Edouard Martin, le rédacteur en chef adjoint d’Alternatives économiques et un fiscaliste de l’OCDE).

La titulaire du JT du midi n’a d’ailleurs pas hésité à mouiller sa chemise (sa notoriété étant ici un atout qu’elle prend le risque de ternir, il n’y a qu’à voir la réaction de Santini) en interpelant à la manière d’un Pierre Carles des élus invités à déjeuner par un industriel du tabac qui s’arrange pour payer très peu d’impôts en France. Ouf, rien que ça !

Ecran salutaire

Alors que le documentaire pointe du doigt des mécanismes désespérants contre lesquel il semble impossible de lutter, Twitter a débordé de réactions passionnées. Cela ne s’arrête toujours pas, d’ailleurs, plus de 24 heures après, le hastag #Cashinvestigation bruisse encore. Car ce type d’émission provoque une sorte d’électrochoc.

Il y a déjà la sidération. Personne n’ignore que l’évasion fiscale est un sport pratiqué à haut niveau mais sans trop de danger par les grands groupes et autres affairistes. Mais en suivre la piste pas à pas, en voir les acteurs dans toute leur mauvaise foi ou leur impuissance, en découvrir les ramifications et les proportions, bref en recevoir une démonstration claire et documentée, ça secoue tout de même les consciences, et cela donne envie de s’intéresser à la politique autrement qu’à travers les petites phrases et combats de coq.

Il y a aussi l’indignation. Indignation face au chantage à l’emploi des industriels, face à la morgue des patrons qui s’abritent derrière la légalité, face à la complaisance complice de certains élus, face aux contradictions des autres, face aux injustices d’un système économique devenu fou, face à la superficialité des médias sur ces sujets. On était déjà méfiant ou dégoûté, on devient exigeant.

Il y a également, et heureusement, l’admiration. Pour ceux qui parviennent à s’extraire du système pour témoigner, pour ceux qui enquêtent pour démonter les mécanismes, ceux qui entendent et relaient pour faire avancer les choses, ceux qui interpellent et demandent des comptes. Admiration pour tous ceux qui mobilisent les quelques outils que la démocratie offre pour sa propre préservation. Car ce qui devrait aller de soi finit malheureusement par nous sembler admirable ! On se prend à espérer qu’il y ait dans ce monde assez de forces auxquelles s’adjoindre pour lutter.

Ecran public vs écran privé ?

Alors je ne sais pas si c’est à proprement parler un coup d’Etat, ce qui s’est passé en Grèce. Mais je me dis qu’une démocratie ne peut pas se passer d’un audiovisuel public, même imparfait (et, dans le cas de la Grèce, qu’on emploie d’autres méthodes qu’un back out brutal si l’on est animé d’une sincère volonté de la faire progresser).

Certes, le secteur public n’est pas lui non plus à l’abri de pressions économiques et politiques, et a une fâcheuse tendance à ne pas prendre trop de risques, privilégiant l’alibi des sujets dits « de société » et reléguant les programmes exigeants aux horaires tardifs ou sur les chaînes les plus confidentielles. Certes, le privé peut lui aussi offrir des programmes capables de bien nous informer et de développer notre esprit critique (notons d’ailleurs que le producteur de ce doc est l’agence de presse Premières lignes, fondé par Paul Moreira, qui dirigeait le magazine d’investigation 90 minutes sur Canal+ jusqu’en 2006).

Mais les émissions d’investigation sont plus facilement menacées sur les chaines privées, qui sont accrochées à l’audience et dépendent du bon vouloir des annonceurs. Et le service public est bien le seul dont la mission soit explicitement « d’informer, d’éduquer et d’animer le débat démocratique ». On pourra débattre sur le respect, d’une manière générale, de ses engagements par France Télévision, mais au moins hier soir nous avons eu la preuve qu’elle était capable d’intéresser sur un sujet difficile et de soulever habilement des questions d’intérêt public.

Ecran public, horizon démocratique

J’ai entendu dire que des documentaires comme celui d’hier soir n’apportaient rien de nouveau, ou pire, conduisaient à conforter les extrêmes surfant sur le « tous pourris ». Je crois pour ma part que c’est quand « les vrais problèmes » sont occultés que le populisme fait recette. Même si l’on ressort quelque peu désemparé après avoir vu ce type d’émission, on aura toujours fait un pas en avant dans l’exercice de la démocratie.

Parce que donner goût à un journalisme accessible mais intelligent cultive la curiosité et détourne de la facilité et de la passivité. Parce que c’est par l’accès à une information de qualité qu’un peuple pourra s’émanciper des idées toutes faites et se construire en tant que force démocratique. Parce que c’est en étudiant et partageant les problèmes qu’on trouve des solutions. Parce que si des journalistes ayant pignon sur rue comme Elise Lucet s’y mettent, d’autres suivront dans la dénonciation de l’inacceptable, forgeant une opinion publique exigeante plutôt que résignée ou complaisante. Parce que déposer sur la place publique des sujets difficiles mais nécessaires pourra mettre la pression sur ceux qui nous gouvernent (et sur ceux dont l’intérêt n’est pas le bien commun) pour construire un nouveau pacte social basé sur des lois plus justes.

Je ne dis pas que c’est facile. Je dis surtout que c’est la moindre des choses que le service public s’y emploie. Tant qu’il existe.

A voir aussi :

> Un article de Le Monde sur la première saison de « Cash investigation, magasine sans concession« , où l’on saisit bien que la place de cette émission dans la lucarne n’était pas chose acquise dès le départ.

> Un article qui creuse la question du coup politique que recouvre la fermeture de la TV publique en Grèce : Ecran noir en Grèce, sur le site Sauvons l’Europe.

> « Faites de la qualité de l’information un fer de lance du service public », la pétition lancée par les Indignés du PAF.

Image sur un tract FN : à nouveau la nausée

Reçu ce matin, un tract FN digne (enfin, je dirais plutôt indigne)… d’une couv d’un mauvais newsmag ! Ou le contraire ?

Tract raciste fn

Image martelée

Car n’avez-vous pas l’impression d’avoir déjà vu cette image quelque part ? Par un étrange retournement, ce feuillet discrètement diffusé dans les boites aux lettres semble n’être qu’une copie d’images parfois étalées à la Une de journaux ayant pignon sur rue.

Si vous avez besoin d’une piqûre de rappel, allez donc voir chez Elooooody celle du Point sur « Cet islam sans gêne », ou celle de l’Express sur « Le vrai coût de l’immigration ». Et d’autres encore avec le décryptage proposé par Ecrans.

Image dévoyée

J’ai d’abord réagit en partageant cette photo sur Facebook. Un de mes contacts me fait remarquer que montrer les signes du FN, même pour les dénoncer, c’est justement leur accorder l’audience qu’ils recherchent.

Je pense quand à moi que l’audience ils l’ont déjà, et que les « déjà convaincus » ne sont plus à convaincre. En revanche, exposer le visage haineux du FN peut toujours servir de piqûre de rappel à ceux qui s’imaginent que le FN de Marine n’est pas le même que celui de son père ! Non le FN n’a pas changé, malgré son entreprise de dédiabolisation largement soutenue par une frange inquiétante de la droite dite « républicaine ».

J’espère que les déçus de tous poils qui croient naïvement que le FN peut apporter des réponses aux questions sociales et qui ont encore un brin de tolérance pour l’autre, l’étranger, le différent, n’oublient pas (ou se rendent compte, s’ils sont trop jeunes) que ce parti est raciste. Qu’ils comprennent aussi que ce n’est pas parce que le FN et certains médias associent systématiquement l’étranger et le danger (bien souvent supposé) aux femmes voilées, que cela correspond à une quelconque réalité.

Image abusive

D’ailleurs, combien de femmes en France portent-elles effectivement le niqab, la burqa, ou tout autre voile intégral qui est représenté sur la photo ? Autant les articles sur les faits divers impliquant cette tenue pullulent sur le web, autant il est difficile d’obtenir des chiffres. Des chiffres fiables, encore moins, puisque j’ai trouvé 367 « selon une estimation de la police » rapportée par Le Monde en juillet 2009, et 2000 selon Le Figaro qui dit le tenir « d’un rapport confidentiel du ministère de l’Intérieur », en octobre de la même année.

Sur quelle proportion de femmes musulmanes ? Si la moitié des musulmans de France sont des femmes, et compte tenu qu’il n’est pas vraiment possible de savoir combien de croyants comporte cette religion en France, estimons à la louche qu’elles seraient entre 1 et 3 millions. Avouez tout de même qu’à une pour pour mille grand maximum, il est déjà sacrément abusif d’associer le voile intégral aux musulmanes de France…

Image à punir !

De plus, coller cette image pour représenter « l’étranger » dans son ensemble, c’est carrément de la manipulation raciste (au minimum islamophobe), pratique qu’il conviendrait selon moi d’interdire et de réprimer. Il est temps de prendre en considération le fait que l’illustration est également un message, du même ordre qu’un propos oral ou qu’un texte écrit, a fortiori quand son association avec un titre crée un espace de signification supplémentaire. Ce genre de construction sémiotique devrait engager les mêmes responsabilités que pour tout autre forme de racisme, et être puni de manière encore plus lourde quand il relève d’une pratique répétée et d’une diffusion massive.

Le pire à venir ?

Attendons-nous d’ailleurs à une nouvelle déferlante de ce type d’image, car ce tract du FN n’est sans doute que le prémisse d’une campagne contre le droit de vote des étrangers qui pourrait s’avérer encore plus nauséeuse que celle contre le mariage pour tous (j’en ai assez dit pour ne pas épiloguer sur les reste du tract…). Et pendant que les passions se déchaîneront, que de nouveaux boucs émissaires seront désignés, notre société n’en finiras plus de se déchirer, au lieu de s’unir ou au moins se mobiliser pour traiter d’autres problèmes autrement plus délicats que la question des étrangers en France et plus impactants dans notre vie de tous les jours…

Aller plus loin : sur le blog L’observateur du lepénisme,  « Marine Le Pen, l’extrême-droite et l’islamophobie, par Nicolas Lebourg.